JÉRÉMIE

JÉRÉMIE
JÉRÉMIE

Jérémie, dont le nom signifie sans doute «Yahvé (c’est-à-dire le Dieu d’Israël) élève», est l’une des figures les plus attachantes du prophétisme biblique. Ce qui est remarquable chez lui, c’est sa grande sensibilité et le rôle que joue, tant dans son existence que dans son message, la vie intérieure. Il est le prophète du dialogue avec Dieu, comme l’attestent ses confessions, réparties aujourd’hui dans les chapitres XI à XX de son livre, ou encore le témoin de la religion personnelle. Le cœur, à la fois sentiment, réflexion et conscience, occupe dans ses déclarations une place prépondérante: Jérémie réclame sa conversion (Jér. IV, 1 sqq.), en découvre la perversité (Jér. XIII, 10,23; XVII, 9 sq.) et attend que Yahvé le transforme radicalement en instaurant une nouvelle alliance (Jér. XXXI, 31-34). Cet homme timide et tendre a été mêlé de près au drame qu’a vécu Jérusalem au début du VIe siècle. Il a même été contraint de prendre parti publiquement, non seulement en annonçant à Juda l’imminence de la catastrophe, mais en exigeant la capitulation de la cité sainte devant l’envahisseur babylonien. Ni les railleries, ni les calomnies, ni les coups, ni les menaces de mort ne lui ont été alors épargnés, comme le rappelle son secrétaire Baruch.

Jérémie nous apparaît comme l’homme de douleurs, dont la vie a été marquée par une suite d’échecs, mais qui, par son attitude tout autant que par ses paroles, a contribué à intérioriser la religion de Yahvé, et a surtout permis à celle-ci de survivre au désastre de 587 en préparant ses frères à ne pas perdre confiance en leur Dieu en dépit d’une situation sans espoir. Avec le prophète Ezéchiel, presque son contemporain, il a ainsi assuré l’avenir de la tradition yahviste.

Une époque troublée

Jérémie est né dans une famille sacerdoctale à Anatot (territoire de Benjamin), non loin de Jérusalem, où il exerça son activité prophétique pendant près d’une quarantaine d’années. Cette époque fut particulièrement troublée. Profitant de l’affaiblissement de l’Assyrie, Josias (640-609) entreprit la restauration politique et religieuse du royaume de Juda et favorisa la réforme fondée sur le Deutéronome. Son œuvre fut brutalement interrompue par sa mort à Meguiddo, en 609, et ses sujets passèrent alors sous la domination de l’Égypte. Celle-ci ayant été vaincue en 605, à la bataille de Karkémish, par Nebucadnetsar (Nabuchodonosor), Jérusalem tomba sous l’obédience de Babylone. Son souverain, Yoyakim (609-597), un homme violent et cruel, se révolta et entraîna Juda dans une aventure qui finit par la prise de la cité de David en 597, suivie d’une première déportation qui frappa surtout la cour et l’élite de la nation. Ezéchiel fut au nombre des exilés. Sédécias (597-587), le dernier roi de Juda, un être sans caractère, chercha à son tour à se rendre indépendant sous la pression du parti nationaliste. Jérusalem fut bientôt occupée par les troupes babyloniennes, Sédécias châtié, le Temple incendié et une autre partie du peuple emmenée en captivité. Les Babyloniens établirent sur le pays conquis un gouverneur qui fut assassiné par des patriotes. Par crainte de représailles, un certain nombre de Judéens s’enfuirent en Égypte.

Jérémie intervint déjà sous le règne de Josias, puisque sa vocation date de 626 (Jér. I, 2). Il poursuivit son activité avec des difficultés croissantes au temps de Yoyakim; sous Sédécias, il fut emprisonné, lors du siège de Jérusalem, et échappa de peu à la mort. Ses derniers oracles, postérieurs à 587, ont été prononcés sur le territoire égyptien, où le prophète fut entraîné de force. C’est là sans doute qu’il disparut; une légende tardive veut qu’il soit mort martyr.

Un livre composite

Le livre de Jérémie est constitué par un ensemble de collections: oracles contre Jérusalem et Juda (chap. I-XXV), contre les nations (chap. XXV et XLVI-LI), contre les souverains de Juda (chap. XXI-XXIII), etc., promesses adressées à Israël et à Juda (chap. XXX-XXXI), récit des souffrances de Jérémie (chap. XXXVI-LXIV), complaintes du prophète (intégrées aux chap. XI-XX). Il est difficile cependant de trouver un plan précis à cet ouvrage dont la traduction grecque donne un texte plus court et une présentation différente (les oracles contre les nations se trouvent au centre du livre et non à la fin).

Le texte hébraïque, dans son état actuel, résulte de plusieurs éditions, dont la plus ancienne remonte, selon Jér. XXXVI, à l’année 605; elle contenait essentiellement des menaces contre le peuple de Yahvé et ses voisins (une partie des chap. I-XXV). Une version plus récente s’est inspirée du style et du vocabulaire deutéronomistes (ainsi dans les chap. VII, XI, XVI, etc.); Baruch a contribué à l’élaboration du livre en insérant dans les oracles de son maître des éléments biographiques (notamment les chap. XXXVII sqq.). Un dernier remaniement date de la fin de l’exil (adjonction du chap. LII).

Contre le roi et le peuple

Jérémie inaugure son activité prophétique sous Josias en 626. Il est encore jeune et subit l’influence du prophète Osée qui est aussi originaire du Nord. Comme ce dernier, il s’en prend à l’attitude morale et religieuse de ses contemporains à qui il reproche d’être infidèles à Yahvé en rendant un culte aux Baals, divinités locales, forces de la nature adorées jadis par les Cananéens (Jér. II). Il appelle Juda à une repentance authentique et déjà pressent que son peuple endurci court au-devant de la catastrophe: une nation lointaine, venue du nord, menace en effet d’envahir le pays (Jér. IV). La position du prophète vis-à-vis de la réforme deutéronomiste reste obscure; il est possible qu’après l’avoir approuvée il en ait dénoncé le caractère superficiel et illusoire.

Sous Yoyakim, la situation se détériore rapidement. Dans le discours du Temple, Jérémie condamne l’immoralité des Jérusalémites et annonce que Yahvé abandonnera sa cité si celle-ci persiste dans le mal. Il déchaîne contre lui la colère des autorités et sa vie est en danger (Jér. VII ; XXVI). Dès lors il connaît un véritable calvaire: les gens d’Anatot complotent contre lui (Jér. XI), la police du Temple l’arrête et le fait battre de verges (Jér. XIX sq.). Il rompt avec le roi, et le peuple fuit ce prophète de malheur dont les appels ne rencontrent que moqueries et menaces. Dans ses confessions, Jérémie dit à son Dieu ses lassitudes et ses perplexités, la tâche est trop lourde pour lui; pour toute réponse, il reçoit l’ordre de continuer à proclamer la fin de Jérusalem (Jér. XII ; XV ; XX).

Sa prédication prend un tour plus politique à la suite de la bataille de Karkémish. Il invite Juda et ses voisins à reconnaître au plus vite l’autorité de Nebucadnetsar, en qui il salue l’instrument du jugement divin (Jér. XXV). Il adresse à Yoyakim un ultime avertissement par l’intermédiaire de Baruch; le roi furieux cherche à le faire disparaître (Jér. XXXVI).

L’alliance rompue

Sous Sédécias, son attitude ne varie pas. Jérusalem vit dans l’illusion que Yahvé interviendra miraculeusement en sa faveur alors que l’ennemi est devant ses portes. Jérémie s’en prend aux prophètes nationalistes qui entretiennent les Judéens dans un optimisme aveugle (Jér. XXVII-XXIX); pour lui, il n’est de salut possible que dans la soumission au souverain de Babylone. C’est ce qu’il ne cesse de répéter à Sédécias qui vient le consulter secrètement dans la prison où il a été enfermé pendant le siège de Jérusalem (Jér. XXI ; XXXIV ; XXXVII). Son message se fonde sur la certitude qu’Israël a rompu l’alliance qui l’unit à Yahvé; c’est pourquoi ce dernier a déclenché contre son propre peuple la guerre sainte.

Jérémie sera libéré par les troupes babyloniennes; il finira malgré lui ses jours en Égypte. C’est là qu’il prononcera ses derniers oracles de malheur (Jér. XLIII-XLIV). Mais auparavant, tandis que tout semble perdu, il annonce la restauration de Juda (Jér. XXXII) et la conclusion d’une nouvelle alliance entre Dieu et Israël (Jér. XXXI). L’histoire du peuple de Yahvé ne se termine donc pas en 587.

On admet généralement aujourd’hui que Jérémie n’est pas l’auteur du livre des Lamentations, comme la tradition l’a pensé – il s’agit d’une œuvre savante d’origine sacerdotale composée postérieurement à 587 –, ni de l’épître qui porte son nom, qui est une satire contre l’idolâtrie, écrite à l’époque grecque.

Prophète et serviteur de Yahvé

Chez Jérémie, les traditions relatives à l’Exode et au Sinaï jouent un rôle plus important que celles qui concernent David et Jérusalem. Il condamne le Temple et a des paroles dures pour les rois de Juda. Il envisage, certes, quoique marginalement, la restauration de la dynastie davidique (Jér. XXIII); il ne dit rien en revanche de la purification de la capitale judéenne, à l’inverse du Premier-Isaïe. Jérémie s’intéresse avant tout à la destinée de l’Alliance: établie au désert, rompue par Israël et finalement renouvelée par Yahvé. Sur ce point, il reprend le message d’Osée avec lequel il partage également une vive sensibilité; on peut aussi le rapprocher du Second-Isaïe.

Pour ses contemporains, Jérémie a surtout été le porte-parole d’une politique qu’ils ont d’ailleurs rejetée dans leur très grande majorité, le prophète de malheur qui a annoncé la prise de Jérusalem. Pour la postérité, Jérémie est le témoin de la religion du cœur, qui repose sur les relations entre le croyant et son Dieu. Il a en particulier révélé qu’au sein même des pires souffrances le fidèle peut rester en communion avec le Dieu de son peuple. Il est ainsi le porte-parole des psalmistes, ces «pauvres de Yahvé» qui, dans leurs complaintes, réclament leur guérison, attendent leur libération, exigent leur justification (Ps. VI; VII; XXII...). Par ses prières – qui ne sont pas des «jérémiades» – le prophète prépare la voie à Job et à ses interrogations laissées longtemps sans réponse; sa solitude, ses échecs, son agonie au temps de Yoyakim et de Sédécias ont souvent été mises en parallèle avec la destinée du Serviteur de Yahvé (Is. L. ; LII sq.) et avec celle de Jésus de Nazareth (cf. déjà Matth. XVI, 14).

Jérémie
(v. 645 - v. 580 av. J.-C.) l'un des trois grands prophètes juifs. Un siècle après Isaïe, il assista à la disparition du royaume de Juda et du Temple. Le livre biblique des Prophéties de Jérémie (52 chapitres) comprend une partie biographique, vraisemblablement rédigée par Baruch, son secrétaire. Les poèmes des Lamentations, postérieurs à la ruine de Jérusalem (587 av. J.-C.), sont d'un auteur non identifié.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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